samedi 30 octobre 2010

La pensée PowerPoint


En mal de notoriété et rabaissé au rang de simple concurrent de Gmail après avoir été plébiscité au tournant des années 1990-2000, le service de courrier électronique gratuit Hotmail a récemment lancé une campagne de publicité multi-support d’envergure. Les affiches aperçues dans le métro ces derniers jours indiquent que le public visé est celui-là même qui l’a délaissé ces dernières années : les jeunes.

Et quoi de mieux pour se les concilier que de mettre en avant la mise à disposition d’une multitude d’outils permettant de communiquer de manière plus immédiate, plus simple et plus rapide, et couvrant l’ensemble des besoins des internautes – téléchargement massif de photos, accès aux vidéos de YouTube, téléchargement de documents PowerPoint ? Ce dernier est d’ailleurs doublement mis en avant puisque, dans un souci de cohérence, les images empruntent le principe des diapositives et des phrases courtes du célèbre logiciel.

Seule devant son portable, la jeune femme n’a pourtant pas l’air concernée par la révolution technologique qui se trouve à sa portée. Peut-être qu’elle essaie de télécharger 10 Go de photos sur sa boite Hotmail, mais que cela prend un temps considérable ; d’où son regard lointain qui pourrait évoquer une forme de rêverie si on ne décelait la crispation de sa mâchoire genre « putain ça fait déjà 25 minutes, encore 5 et j’explose la lampe à ma droite ».

Les deux autres exemples d’utilisateurs qu’on rencontre ont, eux, passé le stade de la colère froide. On les sent atones ; au milieu d’un décor irréel à mi-chemin entre le Rotary Club et le lounge VIP d’un aéroport international – feu de cheminé, fauteuils en cuir, vestiaires de sport luxueux – ils véhiculent l’image d’individus blasés.
 
 
Et si les concepteurs de cette publicité avaient trop bien travaillé ? Ces affiches sont en effet une parfaite illustration de ce que décrit le journaliste Franck Frommer dans son livre « La Pensée PowerPoint : enquête sur un logiciel qui rend stupide » (La Découverte, octobre 2010). Fruit d’essais et d’articles anglo-saxons et d’investigations propres, l’ouvrage décrit à quel point l’utilisation du logiciel a façonné les modes de pensée et de communication depuis son lancement en 1987.

Grâce, par exemple, à une syntaxe réduite au minimum, à l’utilisation de l’infinitif  et à une hiérarchisation abusive de l’information, le message présenté sur PowerPoint perd son but pédagogique ou informatif pour n’être plus qu’un slogan. Surtout, de nombreuses sociétés de conseil aux entreprises se sont depuis longtemps approprié ce logiciel afin de mieux vendre leurs présentations à leurs clients ; d’après l’auteur, certaines d’entre elles ont même instauré de véritables « usines », en Inde notamment, où les employés préparent les documents en se servant des celles déjà existantes – vive la fonction copier/coller ! Le message véhiculé est donc toujours le même, quel que soit l’interlocuteur.

« Prends-moi pour un pigeon » nous dit l’une des affiches ; la phrase est-elle vraiment ironique ?

 

mardi 26 octobre 2010

Jésus Chrix, et Halloween passe

La lune est pleine et l’atmosphère inquiétante. Mais les deux héros n’en ont cure : on le sait, la seule chose qui peut les inquiéter, c’est que le ciel leur tombe sur la tête.
On les sent plutôt placides, rêveurs même. « Enfin un défi à notre mesure » semblent-ils penser. Du haut de leur rocher, ils toisent avec calme leur prochaine aventure.

On a toutefois le sentiment d’une lutte d’un autre temps. On avait fini par se convaincre qu’en dépit d’une poussée de fièvre au début des années 2000, Halloween refluait. Avec une forme de fierté toute gauloise, le quidam se félicitait de voir que la mayonnaise ne prenait pas et que la France pouvait résister à l’importation d’un événement qui n’avait aucun fondement culturel dans le pays et se résumait à une simple opération marketing.

Or le phénomène a trouvé refuge ces dernières années là où l’on s’y attendait le moins : dans l’enceinte du fameux village dont on sait qu’il avait pourtant combattu avec succès les précédents envahisseurs. Pendant quelques jours, les festins de sangliers cèdent la place aux barbecues de Chauve-Sourix, le fameux cuistot célébré pour ses hot-dogs de mygales. S’agit-il d’une capitulation, d’une traîtrise ? Et quelle sera la prochaine étape : les Schtroumpfs luttant désespérément pour bouter les loups-garous hors de leur Parc ? Les toboggans de Walibi bloqués par des toiles d’araignée ? La Mer de Sable devenue champ de citrouilles ?

Qu’on se rassure ! Le petit Gaulois a décidé de sacrifier son village et sa personne pour sauver le plus grand nombre en s’inspirant du voisin américain ! Halloween a en effet tout l’air d’être désormais cantonné aux seuls parcs d’attraction qui, l’espace d’une semaine, concentrent l’essentiel des festivités de la saison des morts-vivants. Le village devient le théâtre de scènes de panique, mais la société française respire : l’obésité recule (fini l’achat de sucreries en masse !) tandis que le pouvoir d’achat augmente (c’est bon pour la production nationale de chrysanthèmes).

Nouvelle figure christique, Astérix choisit de délivrer ses compatriotes du mal. Bon, il a tendance à donner des baffes plutôt qu’à en recevoir, mais on ne peut pas tout avoir.

vendredi 22 octobre 2010

Luke Sky et Johnny Walker

L’usager du métro parisien est un héros qui s’ignore. Pas parce qu’il doit affronter la foule aux heures de pointe ou passer plus de trois heures dans les transports en commun pour aller à son travail et en revenir. De ça, il est pleinement conscient.

Son véritable fait d’armes est moins connu, y compris de lui-même : arriver à passer outre les campagnes de publicité pour le whisk(e)y. 

L’aventure est risquée et déconseillée aux padawans trop présomptueux de leurs forces. Le voyageur, que nous nommerons Luke, se retrouve dans un monde dur, où la lumière est rare, à l’inverse de la gueule de bois. Au détour d’un tunnel, sa rame l’entraîne au carrefour de Koh-lanta et de Destination Finale, vers une terre désolée et brumeuse où il voit déjà double. Les rails ne semblent pas ménager d’issue de secours (merci la RATP !) et l’usager doit se résoudre à descendre du train et à s’aventurer à pieds dans ce territoire hostile.

Le train s’éloigne, et le marcheur progresse la boule au ventre. Il tombe sur un panneau lui indiquant qu’il se trouve sur le bon chemin. L’affiche n’est pas pour autant rassurante : continuer de marcher, oui, mais vers quoi, vers qui ? Ou est-ce un stratagème pour assoiffer et provoquer plus facilement la chute ?

Le frère de l’Empire State Building se dresse soudain de toute sa hauteur ambrée en guise d’ultime tentation magrittesque. Devant lui, ce n’est ni un immeuble, ni de l’alcool ni un sexe-toy, mais Jack ! Son vieil ami Jack du Tennessee qui lui annonce un instant de chaleur partagée au coin du feu. L’esprit pourtant embrumé, Luke se persuade qu’il est encore 8h15, qu’il a une journée de boulot devant lui et que Jack pourra bien attendre le métro du soir.

Luke repousse alors, pour un temps, l’attraction du côté obscur. Car c’est bien le plus étonnant dans toutes ces affiches : toutes mettent en avant l’aspect sombre de l’alcool, au-delà des précautions d’usage puisque comme chacun le sait, « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé ». D’un point de vue personnel, cela ne m’engage pas plus qu’avant dans ce chemin : je préfère le vin, qui sait conjuguer noirceur et gaieté comme le montre L’ivresse de Silène de Luca Giordano (et merci à Java pour le titre de l’article).


mercredi 20 octobre 2010

Orange amer

Cette campagne de pub n’est pas nouvelle. Nous avions pu en profiter au début de l’année 2010 – mais à cette date, ce blog n’existait pas.

Comme moi, vous vous étiez sans doute demandé au début de l’année 2010 à qui ou à quoi renvoyaient ces personnages hauts en couleur semblant sortir tout droit d’une réunion du Modem. Quelle était la source de ces expressions de plaisir contenu et d’extase totale qui irradiaient ces visages lumineux ?

Tout de suite pourtant, on avait flairé l’embrouille : malgré la subtilité du message, ça ne pouvait pas concerner la parti centriste ; on ne pouvait pas imaginer François Bayrou en avatar raëlien donnant de sa personne pour convaincre les militants et les sympathisants qu’il était le seul apte à incarner un mélange de Jean Lecanuet, Charles de Gaulle et Rocco Siffredi.

Restait le sexe.
Bien sûr, je ne me berçais pas d’illusion : une campagne de pub aussi bien organisée (pour les différentes phases : http://archeologue.over-blog.com/article-publicite-et-humour-sexuel-aujourd-hui-je-l-ai-fait-proclament-les-affiches-d-ing-46798709.html) ne pouvait que se résumer à un enjeu tristement banal. Et pourtant, j’aurais tant aimé un message un tant soit peu subversif dans les couloirs du métro. Un qui aurait prêché l’amour libre, pour les roux et les rousses dans un premier temps, mais qui se serait ensuite adressé à toutes les catégories de la population française. Les rames du métro auraient conduit les usagers vers un septième ciel sans cesse renouvelé par la magie du hasard ; une désinhibition grandissante aurait peu à peu conduit au rapprochement inexorable des corps et, très vite, beauté et laideur, calvitie et appareil dentaire, chien de vigile et costume RATP n’auraient plus constitué de barrières insurmontables à la passion. En outre, une fois arrivés sur leur lieu de travail, ces voyageurs auraient tous été détendus et libérés, totalement capables d’exploser leurs objectifs hebdomadaires.

La déception fut à la hauteur de ces élucubrations : une banque. Ces visages rayonnant provenant d’individus qui avaient changé de banque ! Comment avait pu germer dans l’esprit des concepteurs de cette campagne la relation libido / secteur bancaire ? Certes, les allusions au sexe garantissent la plupart du temps un regain d’attention dans un auditoire ou sur les programmes TV de TF1. Cependant, cela avait fait écho à certaines des thèses de Bernard Stiegler, philosophe français, qui établit que le capitalisme de la fin du XXème siècle transforme la libido des individus en pulsions consommatrices (http://fr.kendincos.net/video-lffpflh-bernard-stiegler-consum-risme-csoj.html).



Dehors les rames érotiques, place aux conseillers bancaires sur Internet. Tout compte fait, j’aurais préféré Bayrou.


Michel Sardou, cet incompris

Je ne me suis jamais intéressé à Michel Sardou.

C’est sans doute une question de génération. Adolescent, quand j’écoutais de la variété française, paroles et musique me semblaient être d’un autre temps. Les thèmes même des chansons évoquaient un pays et des idées poussiéreuses. Quant à l’interprétation, elle n’était pas plus emballante, donnant à voir un homme taciturne voire d’humeur franchement maussade.

Et pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de prendre l’affiche de sa prochaine tournée en photo.

Michel Sardou semblait avoir franchi un cap. Il était plus que cet individu ne souriant jamais et de la même génération que Daniel Guichard ou Michel Tor. Son visage totalement figé, sa crinière blanche et sa posture rigide se découpant irrémédiablement sur un environnement irréel et illusoire instillaient un doute : s’agissait-il d’une actualité propre – une tournée à venir – ou d’une nouvelle publicité pour le Musée Grévin, l’un des édifices les plus vains au monde avec celui le Musée de Mme Tussot à Londres ? Un bref rappel des campagnes d’affichage récentes de ce temple de la reproduction immobile permettait d’y voir plus clair, puisque toutes mettaient en avant l’esprit facétieux des concepteurs des expositions, qui n’hésitaient pas à juxtaposer à Phil Collins jouant de la batterie un Zinédine Zidane serrant la main de Lorie (?!!).

Un seul geste animait cette figure quasi-diaphane : les mains de l’homme rajustaient sa veste dans le souhait, certainement, de le préserver du froid pénétrant qui s’annonçait – geste qui trouvait un écho dans le col relevé de la veste. Michel Sardou est-il dans le besoin, ou cherche-t-il à nous faire passer un message ?

La lumière s’est petit à petit infiltrée dans l’esprit embrumé de l’usager matinal du métro qui rédige ces lignes. Je me suis souvenu d’une information qui aurait tout aussi bien ne jamais s’ancrer dans ma mémoire à un moment où plusieurs acteurs du monde social et associatif intervenaient sur le sujet avec beaucoup plus d’à-propos et de légitimité : Michel Sardou s’était dit choqué par l’expulsion des Roms, qu’il considérait « injuste et exagérée ». Il avait notamment déclaré qu’ « on ne [lui] fera pas dire du mal des gitans, car [il] les aime énormément. Je sais qu’il y a des voyous chez les gitans, ça c’est certain. Mais est-ce qu’il n’y en a pas chez les Français, chez les Italiens, chez les Russes, chez les Anglais, chez les Américains ? Il y en a partout », et concluant : « Ce ne sont pas que des voyous, ce sont aussi de grands musiciens » (http://lci.tf1.fr/people/2010-08/pour-michel-sardou-l-expulsion-des-roms-est-injuste-et-exageree-6050574.html).

Bon, comme argumentation, il y a mieux.

C’est aussi ce qu’a dû se dire le chanteur qui, comme Johnny Hallyday, se sera sûrement rendu compte qu’il valait mieux s’exprimer sur le terrain qu’il connaît le mieux : le domaine artistique. On peut presque affirmer que ce nouvel album et cette tournée ne sont, au plus, que des prétextes alimentant le véritable message de cette image : un plaidoyer sans équivoque pour les droits des Roms à circuler librement au sein de l’Union Européenne. De là à ce que j’écoute les chansons…


Va y avoir du sport?


C’est vrai, j’ai triché : je sors cette première image du web. 

Et pourtant, cette somptueuse affiche étalait ses couleurs chatoyantes dans de nombreuses stations du métro parisien au début du mois d’octobre, incitant les voyageurs à se mobiliser contre de drôles d’envahisseurs à l’identité incongrue : un commando militaire hybride (un mélange étonnant de marins, de parachutistes et de yamakasis) jetait l’ancre en proche banlieue parisienne et défiait les éléments pour…  faire quoi au juste ?

On pense tout d’abord à une performance inédite, voire au nouveau spectacle de Robert Hossein : après les grandes figures historiques et les procès controversés, l’homme de théâtre aurait adapté un film de guerre sur la scène géante du Stade de France, dont le public serait appelé à voter en faveur de la division la plus méritante.

Cette première impression passée, la taille des biceps et des mains des personnages interpelle : on est devant l’affiche de la prochaine tournée d’ultimate fighting produite en France, ce si beau sport dont la seule règle dans le combat est qu’il n’y a justement pas de règle. En l’occurrence, le type en rose essaie de mobiliser quelqu’un hors champ (un partenaire, un fou du public, Robert Hossein ?) pour éviter de se faire marave par les autres concurrents, cinq fois plus nombreux.

Et puis la lumière se fait : il s’agit de rugby. Les amateurs de ce sport reconnaissent les doux traits et la crinière de Dimitri Szarzewski, talonneur du Stade Français – Paris et joueur emblématique du club, apparemment ulcéré du débarquement massif de joueurs toulonnais adeptes de tai-chi et d’esbroufe (au fait, qui a eu l’idée grotesque de garer son navire Canal Saint-Denis ?)

Qu’on est loin de la norme publicitaire utilisée par le sport professionnel ! L’évolution récente du marketing a conduit à une certaine dramatisation des débats dans les médias. Les naïfs estimaient que le rugby demeurait préservé de ces tendances, en dépit de sa professionnalisation. L’affiche du match Stade Français – Paris / Mont-de-Marsan l’année dernière était ainsi beaucoup plus conventionnelle. On peut même lui trouver un petit côté provincial qui rappellerait les matches de fin de week-end il y a vingt ans.
La dramatisation est ici complète : le voyageur sort de son métro quotidien pour être plongé dans le cœur de l’affrontement, au niveau du terrain ; il se trouve même invité – ou est-ce un ordre ? – à participer pleinement à ce combat magnifique au milieu d’éléments déchaînés. Le Stade Français – Paris souligne ainsi à quel point il est en avance sur les autres équipes de rugby françaises sur le plan de la communication et de la stratégie commerciale. Reste à se demander où se situe le facteur essentiel : la performance sportive. Car si le Stade Français – Paris a réussi à imposer une marque au cours des dernières années, l’équipe, elle, a plutôt stagné.