vendredi 11 mars 2011

Pubs en cages


La durée de vie d’une affiche est courte.

Tout au long de l’année, les campagnes publicitaires se succèdent dans un ballet sans fin au rythme soutenu. Bien sûr, il y a des exceptions. Certaines publicités font de la résistance. Elles s’incrustent, sans qu’on sache trop si elles doivent ce rab inespéré d’existence au hasard ou à un poseur d’affiche magnanime.
Parfois, aussi, elles se retrouvent piégées dans les travaux de rénovation des stations.


Pour ces affiches, l’allongement de leur espérance de vie a un coût : l’amputation d’une partie de leur raison d’être, les palissades venant souvent soustraire au regard des voyageurs l’objet de leur message. Ainsi dépouillées de leur fonction, elles représentent une respiration dont les couleurs et les suggestions titilleront l’imagination et la curiosité des passants dans le meilleur des cas. A moins que ces images estropiées ne les plongent dans la plus grande perplexité en les renvoyant à de vagues souvenirs de publicités déjà oubliées.


La valse des affiches voit en effet se superposer les couches et les slogans… tout en précipitant ces derniers dans les limbes de la mémoire des voyageurs. Derrière leurs barrières, les affiches piégées endossent le rôle des derniers spécimens de campagnes (tré)passées et inaugurent une exposition involontaire sur les travers de la société de consommation à outrance : chaque campagne efface sa devancière, et tout produit promu en remplace un autre.

Le mouvement est-il aussi perpétuel qu’on veut bien le croire ? Rien n’est moins sûr.

mercredi 9 mars 2011

Interloqué et… dépité


Cette pub d’un groupe de télévision français bien connu m’interloque et m’interroge, voire me rend perplexe. Ce qui, au cours de mon trajet en métro du matin, n’est pas un mince exploit !

 
De quoi s’agit-il ? Pour ceux qui auraient échappé au film, Canal + fait sa pub autour d’un blockbuster mettant en scène un prodigieux et charismatique touche-à-tout mettant son talent au service de la fabrication d’armes made in US dernier cri. Seulement voilà, entre un verre de whisky raffiné et les jumelles de Playboy du mois de décembre, notre héros se heurte à la réalité de la guerre et nous fait une petite crise de conscience. Décidant qu’il a mieux à offrir au monde que ses armes, il finit par combattre, en deux volets, le fameux complexe militaro-industriel américain (contre lequel Eisenhower nous avait pourtant bien mis en garde en son temps).
Voila pour le pitch.
 
Au-delà de la profondeur du film et du message universel – fabriquons des biberons, pas des armes – qu’il véhicule, cette pub, disais-je, m’interloque.
Tout d’abord, le graphisme de l’affiche. Sur un joli fond bleu (je vous renvoie au post « Bleu de chauffe » de JuMa), celle-ci détourne avec un certain humour l’image du héros pour en faire une sorte de figure sainte couronnée d’une auréole vers laquelle rayonnent des missiles (atteindre le paradis avec/par des missiles ?). A cet instant, j’en viens innocemment à me demander si un marchand d’armes a jamais été canonisé ? A forcer le trait, on pourrait même entrapercevoir Tony Stark dans une posture d’icône byzantine…


Le message de l’affiche « un marchand d’armes qui sauve le monde, c’est forcément du cinéma » nous sort heureusement de nos divagations matinales pour nous ramener à la réalité : les marchands d’armes ne sont pas des saints. Ouf ! Mes convictions morales, un instant chamboulées, se remettent dans le bon sens ! Pas besoin de s’interroger sur les fondements moraux de la realpolitik, Canal+ plaisante, c’est une boutade : fabriquer et vendre des armes, c’est évidemment mal.

Les marchands de canon, c’est bien connu, n’ont que peu ou pas d’humour alors que Canal+ de son côté en a à revendre. C’est même la marque de fabrique de la chaîne cryptée. Donc, afin de vendre son catalogue de films, elle nous propose cette affiche pseudo-décalée, faussement outrageuse et vraiment simpliste où le bon sens moral, tout comme le super-héros américain moyen, l’emporte à la fin. 

Pure coïncidence ou cynisme publicitaire, les affiches sortent dans le métro au moment où les (gentilles) opinions occidentales découvrent (avec stupeur et effarement) que leurs gouvernements fournissent des armes à des régimes (méchants) qui n’hésitent pas ensuite à les utiliser contre les peuples qui se soulèvent.

Au final, plutôt dépité, je remets la tête dans mon bouquin avant de descendre à la prochaine.

Marcel

dimanche 6 mars 2011

Tordjman, Ben, Makine


La sécurité est un thème à la mode. A force d’en parler et de la mettre à toutes les sauces (sécurité des biens, des personnes, de l’emploi, …), elle teinte progressivement les discours de la vie quotidienne et les comportements d’une nuance de peur sournoise ; l’impact physique et matériel des questions sécuritaires est, lui, plus ou moins difficile à percevoir. Les caméras de surveillance, par exemple, savent être discrètes. D’autres n’hésitent pas à mettre les pieds dans le plat :

 
Pas besoin de slogan ici, tout est dit en deux mots et en lettres capitales : les portes Tordjman sont blindées. Difficile de faire abstraction de cette publicité affichée en masse dans le métro parisien ces dernières semaines au point de diffuser un halo rouge métal sur les quais et de favoriser un climat de suspicion latent. A terme, on pouvait craindre qu’une frénésie sécuritaire n’affecte les usagers et ne les incite à vouloir blinder tout ce qui bouge : portes de métro, sacs à main et fermetures éclair entre autres choses.

C’est au moment où la situation commençait à devenir critique qu’une autre affiche a vu le jour sur les panneaux du métro :


Lettres blanches sur fond noir, l’affiche ne verse pas dans l’optimisme béat. Cependant, le trait irrégulier et enfantin apporte une touche de fantaisie intéressante et qui se trouve renforcée par l’adverbe à la fin de la phrase : « Je me sens libre ici ». L’affiche étant une publicité pour une chaîne d’hôtels restaurants, Logis, doit-on comprendre que le sentiment de liberté, voire la liberté elle-même, n’est désormais réalisable que lorsqu’on est ailleurs que chez soi ? L’hôtel représenterait le refuge ultime où l’on pourrait endosser l’identité de notre choix et ainsi aller et venir sans que cela prête à conséquence loin du carcan et des contrôles quotidiens.

Dans son dernier ouvrage, Le Livre des brèves amours éternelles (paru au Seuil en janvier 2011), l’auteur russe Andreï Makine décrit comment un film français projeté en URSS, Mille milliards de dollars réalisé par Henri Verneuil en 1982 et comptant Patrick Dewaere parmi les acteurs, a « davantage contribué à la chute du mur de Berlin que tous les dissidents » (p.115). Il y était question d’un journaliste poursuivi par un tueur pour avoir enquêté sur les liens entre le monde politique, les services de renseignement américain et une multinationale au passé trouble. Le film avait passé avec succès la censure d’Etat – qui avait estimé qu’il illustrait les travers et la perversion du système capitaliste.

Habitué à la propagande du régime, le public avait appris à ne pas accordé trop d’importance à de telles intrigues. Mais une scène anecdotique provoqua une réaction inattendue dans la salle dont Makine fut le témoin : « Soudain, physiquement, je sentis que la salle se crispait, prise d’un spasme violent, musculaire (…) L’ovation qui éclata fut plus éruptive que n’importe quel concert de rock. Je vis des spectateurs sursauter, agiter les bras dans un salut fébrile, embrasser leur compagne avec une frénésie démente. Les applaudissements effacèrent tous les sons provenant de l’écran. Les gens riaient, hurlaient, et dans la pénombre, je croisai plusieurs regards brillants de larmes. La suite du film, sa fin déjà proche, n’avait plus d’importance » (p.113-114).

La scène en question voyait Patrick Dewaere puis un couple d’amoureux prendre une chambre d’hôtel dans un établissement anonyme de province sans que quiconque ne leur demande des papiers d’identité ou des autorisations officielles pour valider la démarche.

Voir en l’affiche de Ben un message subversif et libertaire est sans doute faux. Compte tenu de l’ambiance actuelle, mieux vaut pourtant la prendre comme tel et y voir un slogan contre le blindage intensif des portes et des mentalités.

mercredi 2 mars 2011

Une affiche qui a du chien


La publicité guette les modes.

L’une des dernières tendances à laquelle elle fait référence a une caractéristique, sinon un nom : l’animalisation de l’homme. Les exemples ne manquent pas en ce moment, notamment grâce à la campagne d’affichage intensive de Grand Optical.

Oui, ce chien porte des lunettes.
Le problème est que je n’arrive pas à comprendre pourquoi une enseigne de lunettes souhaiterait représenter ses clients, actuels ou potentiels, sous les traits du meilleur ami de l’homme. Peut-être ces clients sont-ils tellement satisfaits des services proposés qu’ils demeurent attachés à cette marque, faisant preuve d’une fidélité à toute épreuve ? Si la finalité du message reste ici une énigme, il est en revanche intéressant de la rapprocher des thèses développées par Pierre Schulz, médecin spécialisé en pharmacologie et en psychiatrie, et auteur de Consolation par le chien (édité aux PUF en 2010).

L’ouvrage met en avant la « caninisation » de la société, phénomène « d’envahissement du monde humain par des éléments canins » qui a permis de faire du chien un élément fondamental dans l’équilibre psychique de l’homme : alors que, par le passé, les bénéfices que retiraient l’homme de cet animal étaient matériels (le chien gardait le troupeau ou montait la garde), les apports présents sont avant tout abstraits et ont trait à l’affect. La présence d’un chien rassure, tranquillise et simplifie le rapport à la vie, entre autres avantages.
Cette évolution dans les rapports entre l’homme et son animal de compagnie trouve un écho en sens inverse : l’humanisation du chien ; on prête à ces compagnons l’envie de profiter de la société de consommation au même titre que leur maître, et d’avoir ainsi accès aux marques d’eau minérale et de bières pour chiens qui se sont développées ces dernières années (pour les lunettes, Grand Optical a réglé la question).

Compte tenu de ces nouvelles formes d’échange entre homme et chien, Pierre Schulz n’hésite pas à proposer l’idée d’une société « anthropocanine », potentiellement dangereuse dans les cas extrêmes où la relation entre un maître et son chien primerait sur les rapports que l’homme entretiendrait avec ses congénères. Au théâtre Hébertot se joue d’ailleurs une pièce sur ce thème, « Toutou ».


L’homme ne manquant pas de compagnons à poil ou à fourrure, on pourrait tout à fait étendre ces thèses aux chats, lapins et autres poissons rouges qui peuplent nos appartements et nos maisons (bien qu’il soit difficile de faire boire de la bière à un poisson).
Il faut donc s’attendre à voir d’autres publicités présentant l’homme sous la forme des animaux les plus divers, de manière plus ou moins habile. Dans le cas ci-dessous, je ne suis à nouveau pas sûr de la pertinence du propos :



Le mouton comme symbole de l’audace et de l’affirmation de son identité quand vient le temps de choisir une formation, il fallait oser. On attend avec impatience les prochaines campagnes d’affichage.