dimanche 6 février 2011

Liberté, égalité, beauté?


C’était à l’automne dernier. Avant de rentrer chez moi après une journée passée à traquer les affiches dans les stations de métro et les rues de Paris, j’avais voulu faire un détour en banlieue proche, histoire de changer un peu de décor. Il était trop tard pour que la balade durât encore longtemps mais la curiosité l’avait emportée et m’avait conduit à la ligne de tramway T2. Pour un résultat décevant de prime abord : la ligne était coincée entre le périphérique et des immeubles de bureau hideux qui niaient à l’environnement toute vie de quartier.

Je descendis rapidement de la rame et m’apprêtai à faire demi-tour quand la vue d’une affiche au slogan incongru me força à m’arrêter :

La concurrence dans le secteur des cosmétiques était-elle à ce point exacerbée pour que les laboratoires Yves Rocher proclame sans sourciller que la devise républicaine devait désormais délaisser la fraternité au profit de la beauté ? Une telle proclamation n’actait-elle pas ouvertement les mutations d’une société qui voyait l’apparence et la perfection physique prendre le pas sur la collectivité et l’amitié envers son prochain ?
A l’inverse, pouvait-on souscrire à la thèse du combat pour la beauté – terme flou et en perpétuelle évolution s’il en est – en tant que lutte permettant à une catégorie de la population d’être mieux acceptée par la société ?

Dans son livre La Guerre de la beauté – Comment L’Oréal et Helena Rubinstein ont conquis le monde (Denoël, janvier 2011), Ruth Brandon estime que dans l’esprit de Helena Rubinstein, les produits de beauté avaient pour principal but de donner confiance aux femmes afin de les aider à s’imposer dans le monde extérieur au foyer. Cette émigrée polonaise qui s’enfuit du ghetto de Varsovie à 18 ans et lança des salons de beauté à travers le monde, devenant ainsi la première femme millionnaire, devait considérer que le maquillage participait à l’émancipation de la femme en lui permettant de prendre possession de son corps et d’en disposer comme elle le souhaitait.

Or, si le XXème peut être considéré comme une époque charnière dans la démocratisation de la beauté et l’acceptation toujours plus grande des femmes dans la société, que dire des années 2000 ?

L’image est belle mais irréelle. A force de retouches – Monica Bellucci confiait récemment que tous les clichés des publicités et des magazines étaient aujourd’hui photoshopés (« Le Grand Entretien », France Inter, 9 novembre 2011) –, les traits s’estompent et les visages se lissent au point de gommer âge et émotions. La figure désormais renvoyée est un halo fantomatique.
Face à ces représentations inaccessibles et à une forme de dictature de l’apparence, d’où le salut peut-il venir ?

 
Dans cette publicité Nivéa, l’accent n’est plus mis sur la beauté à tout prix selon un canon incarné et pourtant inexistant mais sur le bien-être qu’une personne ressent quand elle prend soin de son corps. Je ne sais pas ce que vaut l’argument naturel ; on ne peut en tout cas pas dénigrer le recours à des ingrédients bio dans des produits de maquillage, même si l’on sent aussi l’intérêt marketing dans la démarche.
Le thème pourrait en tout cas faire des émules et infléchir légèrement les représentations de la beauté. L’horizon des photos plausibles et plus simples se rapprocherait-il ? Quant à changer la devise républicaine au fronton des bâtiments publics, on s’en occupera quand la question de la fraternité sera réglée. Mais ceci est une autre histoire.

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