mercredi 9 février 2011

Bleu de chauffe


L’une des critiques le plus fréquemment formulées à l’encontre de Paris, outre l’antipathie des garçons de café, la rareté des taxis le soir, les prix affiché par les restaurants, ou le stress ambiant des passants dans la rue et des usagers dans les transports en commun, doit certainement être le temps gris qui règne constamment au-dessus des toits de la ville. De là à penser que les nuages affectent la bonne humeur, pourtant proverbiale, des Parisiens, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’hésitent pas à franchir.

Pour éviter qu’une déprime carabinée ne saisisse l’ensemble de la population, divers réserves de couleurs ont été aménagées à travers la ville. Les squares et les parcs approvisionnent les habitants en vert ; les affiches publicitaires, elles, regorgent de bleu. A tel point qu’en plus d’utiliser ce dernier en masse, elles n’hésitent pas à faire de cette couleur un argument marketing à part entière. Il y avait Bleu Ciel d’EDF, mais on ne connaissait pas forcément la Mutuelle Bleue. Celle-ci en met une deuxième couche en ce moment :

 
La récurrence du bleu dans les propos publicitaires n’est pas fortuite lorsqu’on lit les interviews ou les textes de Michel Pastoureau. Dans son livre Bleu, histoire d’une couleur (éditions du Seuil, paru en 2000), l’historien anthropologue établit qu’après avoir été longtemps déconsidéré, le bleu est devenu extrêmement populaire à partir du XIVème siècle grâce au développement du culte à la Vierge Marie et a su s’imposer comme la couleur favorite en Occident.

C’est aujourd’hui la couleur de référence « pour les personnes physiques comme pour les personnes morales : les organismes internationaux, l'ONU, l'Unesco, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne, tous ont choisi un emblème bleu ». Ce succès s’expliquerait par le côté consensuel du bleu, « une couleur qui ne fait pas de vague, ne choque pas et emporte l’adhésion de tous (…). Quand les gens affirment aimer le bleu, cela signifie qu’ils veulent être rangés parmi les gens sages, conservateurs, ceux qui ne veulent rien révéler d’eux-mêmes » (citations tirées de l’article « Le bleu : la couleur qui ne fait pas de vagues », entretien avec Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, L’Express, publié le 5 juillet 2004, http://www.lexpress.fr/culture/livre/1-le-bleu-la-couleur-qui-ne-fait-pas-de-vagues_819768.html).

Toutes ces qualités conviennent parfaitement à une mutuelle. Essayons de mettre en pratique ces observations à d’autres publicités ayant recours au bleu:

Sur cette affiche de Shakira, le but est de rassurer les usagers du métro sur les intentions et la personnalité de la chanteuse : OK, elle a des dreadlocks ; d’accord, elle saute partout ; mais le ciel bleu derrière elle suggère qu’elle n’est en fait qu’un produit formaté et à la démarche artistique très convenue, comme le prouvent les textes de ses chansons.

Dans des situations plus délicates, les vertus fédératrices et rassurantes du bleu sont mises à rude épreuve. Les concepteurs de l’image ci-dessous ont forcé sur la couleur, mais quelle autre solution s’offrait à eux pour essayer d’atténuer le caractère angoissant de l’œil géant, et même de la manifestation elle-même ? Le résultat est bl(e)uffant. La méthode, elle, est validée.


P.S. Le titre est tiré du livre de Nan Aurousseau, paru en 2005 chez Stock




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