En mal de notoriété et rabaissé au rang de simple concurrent de Gmail après avoir été plébiscité au tournant des années 1990-2000, le service de courrier électronique gratuit Hotmail a récemment lancé une campagne de publicité multi-support d’envergure. Les affiches aperçues dans le métro ces derniers jours indiquent que le public visé est celui-là même qui l’a délaissé ces dernières années : les jeunes.
Et quoi de mieux pour se les concilier que de mettre en avant la mise à disposition d’une multitude d’outils permettant de communiquer de manière plus immédiate, plus simple et plus rapide, et couvrant l’ensemble des besoins des internautes – téléchargement massif de photos, accès aux vidéos de YouTube, téléchargement de documents PowerPoint ? Ce dernier est d’ailleurs doublement mis en avant puisque, dans un souci de cohérence, les images empruntent le principe des diapositives et des phrases courtes du célèbre logiciel.
Seule devant son portable, la jeune femme n’a pourtant pas l’air concernée par la révolution technologique qui se trouve à sa portée. Peut-être qu’elle essaie de télécharger 10 Go de photos sur sa boite Hotmail, mais que cela prend un temps considérable ; d’où son regard lointain qui pourrait évoquer une forme de rêverie si on ne décelait la crispation de sa mâchoire genre « putain ça fait déjà 25 minutes, encore 5 et j’explose la lampe à ma droite ».
Les deux autres exemples d’utilisateurs qu’on rencontre ont, eux, passé le stade de la colère froide. On les sent atones ; au milieu d’un décor irréel à mi-chemin entre le Rotary Club et le lounge VIP d’un aéroport international – feu de cheminé, fauteuils en cuir, vestiaires de sport luxueux – ils véhiculent l’image d’individus blasés.
Et si les concepteurs de cette publicité avaient trop bien travaillé ? Ces affiches sont en effet une parfaite illustration de ce que décrit le journaliste Franck Frommer dans son livre « La Pensée PowerPoint : enquête sur un logiciel qui rend stupide » (La Découverte, octobre 2010). Fruit d’essais et d’articles anglo-saxons et d’investigations propres, l’ouvrage décrit à quel point l’utilisation du logiciel a façonné les modes de pensée et de communication depuis son lancement en 1987.
Grâce, par exemple, à une syntaxe réduite au minimum, à l’utilisation de l’infinitif et à une hiérarchisation abusive de l’information, le message présenté sur PowerPoint perd son but pédagogique ou informatif pour n’être plus qu’un slogan. Surtout, de nombreuses sociétés de conseil aux entreprises se sont depuis longtemps approprié ce logiciel afin de mieux vendre leurs présentations à leurs clients ; d’après l’auteur, certaines d’entre elles ont même instauré de véritables « usines », en Inde notamment, où les employés préparent les documents en se servant des celles déjà existantes – vive la fonction copier/coller ! Le message véhiculé est donc toujours le même, quel que soit l’interlocuteur.
« Prends-moi pour un pigeon » nous dit l’une des affiches ; la phrase est-elle vraiment ironique ?
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